Scène de famille

Ghislaine Portalis - Grégoire Vieille - Martial Galfione - Jacques Vieille
28 juin - 30 août 2003
Gérard Lapalus
 

Une exposition de groupe se doit d’énoncer un thème fédérateur. La famille est, par essence, une donnée coercitive qui bride l’émancipation. Mais cette notion "ready-made" va, paradoxalement, permettre de présenter et d’observer, en toute liberté, quatre expériences artistiques reliées par le seul lien de la parenté. La "scène de famille" à laquelle nous sommes conviés nous épargne les drames domestiques, le malaise de l’intimité dévoilée. Le cadre familial confère un caractère privé à cette "séance" où une connivence diffuse fait du spectateur un invité.
Pour Grégoire Vieille, la photographie n’est plus au service exclusif de l’image, elle s’éloigne de la représentation : son format, sa texture, son support l’apparentent à un écran. Ses " fonds " visent à renouveler les signes et les effets des utopies de la géométrie cinétique. La bâche-écran devient toile, nouveau support pour une peinture cinétique réactualisée.
Martial Galfione retrouve l’orbite terrestre et nous présente le cap Corse. Cette vision nocturne est agrémentée de points lumineux. Ces feux que l’on peut imaginer allumés sur les nombreuses tours génoises qui bordent le cap semblent dessiner une piste d’atterrissage. La métaphore est entretenue par l’installation qu’il a disposée au devant de l’imposant tirage photographique. Des nourrissoirs portent le logo Mac-Donald. Se trouve ainsi stigmatisé le mode d’alimentation emblématique de la société de consommation. Ce registre nutritionnel se poursuit par le portrait en pied de l’artiste. Avec un dévouement de louve romaine, et tel le héros salvateur toujours prêt, l’homme-citerne propose généreusement sa panoplie de tétines pour étancher la soif ou les désirs inassouvis.
Jacques Vieille découvre dans les matériaux agro-alimentaires d’aujourd’hui des nouveaux médiums que l’exploitation culturelle a négligés. Une poche amniotique sustente à temps réguliers une agave, figure antithétique de la citerne souple. De cette confrontation sourd une invitation à la nonchalance estivale.
Les bourdons, "excellents pollinisateurs dans des circonstances difficiles", disposent d’un habitacle “Biobest”, architecture fonctionnelle réduite à une boîte. En contrepoint, Jacques Vieille a réalisé la vaste maquette d’une "usine". Ce parallélépipède sur pilotis développe sur ses quatre faces une ossature standard qui s’apparente au projet de maison "Domino" de Le Corbusier. Cette référence confère à la maquette non pas un statut de projet mais d’objet, voire de sculpture. Cette construction s’apparente à une "usine modèle" que les bourdons, abusés par les couleurs attractives, viendront animer ou qui deviendra banc de repos pour le visiteur distrait.
Le papier est longtemps demeuré la matière de prédilection de Ghislaine Portalis. Les formes déployées se sont condensées en des séries d’objets exclusivement rose et que des accessoires de l’intimité féminine métamorphosent en de suggestifs "trophées". L’association de la transparence, des gris et du rose, cristallise la légèreté et l’élégance singulière d’une atmosphère libertine. L’immersion dans l’intime se poursuit par un subtil renversement. Si le sujet est parfaitement identifiable, un splendide sein nacré, la nature de l’objet est plus délicate à saisir. Ce sein est nourricier ; il provient d’un service de porcelaine dont Marie-Antoinette usait dans sa bergerie. Ghislaine Portalis conduit habilement sa métaphore dans les raffinements du 18e siècle qu’elle revivifie pour notre plaisir.
La "bibliothèque rose" entretenait autrefois l’ingénuité des jeunes filles. Ces ouvrages peuvent- ils être mis, sans scandale, entre toutes les mains ?
Gérard Lapalus, Juin 2003. Extraits du texte à paraître dans le catalogue de l’exposition en novembre 2003.