Depuis quelques années la scène du cinéma expérimental japonais s’est transformée. Image Forum a depuis deux ans un nouvel espace avec deux salles de cinéma, et Mistral diffuse au Japon des films indisponibles jusqu’alors. On constate la juxtaposition d’attitudes et de pratiques distinctes qui vont du cinéma d’animation au cinéma indépendant. La création d’un laboratoire alternatif à la manière de ceux qui existent en Europe et plus exactement à celui de Grenoble a permis de renouveler l’approche vis-à-vis du support. L’existence de ce laboratoire animé par Ichiro Sueoka et Yo Ota favorise le travail sur les émulsions et fait surgir des questions vis-à-vis de la définition, du rendu et de la matérialité des images, et ce, lors du développement ou lors du refilmage.
Cette question de la matérialité de l’image en mouvement n’est pas nouvelle dans le cinéma japonais, des cinéastes ont par le passé exploré ces champs. On retrouve ces préoccupations avec Jun’ichi Okuyama, lorsqu’il réalise des films sans caméra dans les années 70, ou bien Akhiro Morishita dans ses films rayés en hommage à Paul Sharits, dans les années 80. Mais aujourd’hui la possibilité d’apprendre à développer soi-même, en favorisant l’accessibilité à des processus, fait du support filmique un des objets d’investigation cinématographique privilégiés, et par conséquent plus repérables dans les films contemporains.
Les programmes de cette année se concentrent autour de deux attitudes cinématographiques : l’animation d’une part et le cinéma expérimental de l’autre. Les deux approches ne sont pas si éloignées l’une de l’autre, dans la mesure, ou nombre de films du programme d’animation travaillent des photographies image par image et évoquent ainsi les travaux plus anciens de Toshio Matsumoto ou Takashi Ito. Ainsi les films de Tomohiro Nishimura ou de Jun Miayazaki exploitent en priorité les possibilités inhérentes aux variations et aux permutations. Pour d’autres, c’est le recours au dessin de facture classique (fusain) qui permet d’évoquer des états d’âme, des atmosphères, une ville : New York. De son côté, Takashi Ishida privilégie la transformation de dessins, assistée par ordinateur, afin de coller, au plus près, aux variations de l’art de la fugue. Par ailleurs les films travaillant l’animation de photos ne sont pas si éloignés de propositions de films expérimentaux dans la mesure où ce sont les structures, les formes qui sont privilégiées au détriment des récits. Ainsi voit-on des liens entre Hoshu Kurokawa filmant du papier sur une table et la capture d’instants incandescents dans le film de Akira Mizuyoshi. Avec ses films, la qualité de la photographie, son piqué, et la définition de l’image sont prépondérantes. Ils inscrivent en priorité la question du traitement et la captation de la lumière au moyen du cinéma.
La matérialité de l’image et sa plasticité brute sont convoquées avec les films qui utilisent des found footage ; ou avec ceux qui travaillent les caractéristiques du développement manuel, en l’opposant parfois avec les tirages industriels comme le font par exemple : Shingo Yoshinaga, Ryusuke Ito et Yo Ota. Ces cinéastes investissent les possibilités du support en travaillant la notion de variations, l’un au moyen de duplications partielles, l’autre selon le filmage d’une même scène à des vitesses distinctes. Ce n’est plus tant la matérialité de l’image que le façonnage du temps qui devient l’objet essentiel du film.
Le cinéma expérimental japonais, après avoir constitué un corpus spécifique, semble aller à la rencontre d’autres cinématographies, s’en nourrissant et proposant à partir de celles-ci des œuvres qui n’ont rien à envier à leurs pendants occidentaux.
Yann Beauvais
Liste de films programmés

Film d’animation 64’45

1. Blue foot-bridge, Tomohiro Nishimura, 2001, 16 mm, coul., son-opt., 5’00
2. Planet, Kazuhiro Sekiguchi, 2000, 16 mm, coul., muet, 4’00
3. Move, Keiji Aiuchi 1988, 16 mm, coul., son-opt., 8’00
4. Old paper on the table, Hoshu Kurokawa 2002, 16 mm, coul., son-opt., 6’00
5. A little planet, Jun Miyazaki 2002, 16 mm, n & b, son-opt., 7’00
6. A feather stare at the dark, Naoyuki Tsuji, 2002, 16 mm, coul., son-opt., 15’00
7. Blue Film, Goh Harada, 2000, 16 mm, coul., muet, 9’45
8. Die Kunt der Fuge, Takashi Ishida, 2001, 16 mm, coul., son-opt., 19’00


Le support filmique 77’

1. The infection route No. 2, Shingo Yoshinaga, 2000, 16 mm, part-coul., son-opt., 10’00
2. A film in whipcord there did not appear sprocket holes, edge lettering without dirt particles,
Ichiro Sueoka, 2002, 16 mm, coul., son-opt., 5’00
3. Off the SYNC, Yo Ota, 2002, 16 mm, part-coul., son-opt. 8’00
4. Plate No 15 – 19, Ryusuke Ito, 2001, 16 mm, coul., son-opt., 7’00
5. The color of a ray on water, Akira Mizuyoshi, 2002, 16 mm, coul., muet, 7’00
6. SYNC Pic, Jun’ichi Okuyama, 2001, 16 mm, n & b., son-opt., 14’00
7. A white room I, Jun Otani, 2001, 16 mm, n & b, muet, 13’00
8. Rocking chair, Shiho Kano, 2000, 16 mm, coul., son-opt., 13’00


Film

The Law of night, Naoyuki Tsuji, 2002, 16 mm, coul.
+ un film de Yo Ota
voir tournée 2001