FRÉDÉRIC BUISSON

Portez Plinthe - Portez Plainte > 19 janvier - 3 mars 2001


 Le travail de Frédéric Buisson prend souvent racine dans un langage entre l'architecture (ou l'in situ) et le monde médical. Le soin (coton, laine de verre, papier toilette...) qu'il porte à un bâtiment, personnifie l'espace et médicalise à l'extrême et de façon absurde la déambulation du visiteur.
"Soigner tout en blessant" à l'aide de matériaux issus de la protection, de l'isolation ou de la conversation semble rhétorique et récurrent dans son travail.

A l'observation de l'espace Faux Mouvement, Frédéric Buisson a eu envie de le "soigner" ; la laine de verre vient rectifier le biais des murs, rattraper les décalages et égaliser les sections des piliers, - mettant en évidence tout en les gommant - les "anomalies" architecturales de l'espace. Le temps d'une exposition celui-ci devient orthogonal. Une frise de coton hydrophile fait office de plinthe dont le lieu est habituellement dépourvu ; elle suit et vient souligner les nouveaux contours du local.
L'espace est tendu, en suspens(sion). Des câbles métalliques suivent en effet les alignements - d'origine et redéterminés -, quadrillent le lieu et mettent en évidence ses lignes de force. Ancrés à 2 m du sol, ils tissent une toile d'araignée rigoureuse qui vient couper le volume dans sa hauteur et uniformiser la planéité du plafond.

Cet ordre / cette mise en ordre au cordeau commence à être lui-même mis en péril par des cellules verticales situées aux croisements des câbles. Enrobées de film palettisable, elles renferment des barquettes alimentaires, sortes de virus introduits dans ces bulles stériles.
Suggérée dans l'installation, la présence humaine est renforcée par des vidéos où les actions s'apparentent à des performances ; inlassablement, des mains étirent le coton ou dévident feuille à feuille des rouleaux de papier toilette, ailleurs un câble se tend jusqu'à l'arrachement faisant sursauter le visiteur qui déambule en confiance sous ces mêmes câbles.

Virus / Survi(e)

"Soigner tout en blessant ou tendre l'espace à la limite de son potentiel, voilà en quelque sorte à quoi mes recherches préalables conduisent le plus souvent. Les choses viennent se poser sans sophistication, sans artifice, les formes naissent par contact, par frôlement, par pénétration". Frédéric Buisson

Un besoin viscéral de pureté originelle taraude Frédéric Buisson. Philosophe qui s'ignore, il s'obstine en outre à combler les vides existentiels ; parfois au sens littéral au point de s'évertuer en vain à remplir les trous d'une grosse éponge à l'aide de boulettes de coton hydrophile, tentative aussi dérisoire que celle d'un enfant au bord de la mer essayant de creuser un trou dans le sable alors que l'eau revient obstinément par le fond. Ce que cherche en fait F.B. c'est la table rase, l'absence de prémices, une étendue vierge de toute souillure préliminaire, un espace immaculé datant des premiers temps de la création. En fait un lieu assez sain pour qu'il puisse le contaminer à sa guise, en précurseur, en pionnier n'ayant de comptes à rendre qu'à lui-même et à la mère nature. Mais l'espace vierge (lieu d'exposition) se faisant rare étant donnés les critères draconiens retenus, il convient dans un premier temps de le stériliser afin de lui rendre son innocence native, quitte à le "polluer" ensuite d'une manière inédite. En le dépouillant de toutes ses couches de protection successives, Frédéric/stratège voudrait fragiliser l'espace en le privant de ses défenses immunitaires acquises suite à des expériences étrangères plus ou moins calamiteuses.
Passé ce stade initial que l'on pourrait assimiler à un grand dépoussiérage, la contamination peut prendre son essor sur des bases plus "saines", ce qui peut sembler paradoxal mais qui correspond bien à l'essence de l'art de Frédéric Buisson, un art qui navigue entre deux "os", la crainte du virus inconnu "acquis" et la joie sauvage d'une prolifération librement consentie, voire choisie en toute connaissance de cause. En fait le travail de F.B. s'étale comme un miroir peu complaisant du monde environnant.

Ceux qui nous gouvernent soignent nos inflammations médicales, politiques, alimentaires, intellectuelles et culturelles nous confie-t-il avec une amertume tranquille, avant d'ajouter, terriblement lucide : les mêmes individus génèrent de nouveaux virus, maladies, guerres et autres agressions en tout genre.
Mais nous aurions tort de tout retenir de ce diptyque par trop pessimiste dont les deux volets sont joués par les mêmes (mauvais) acteurs. Il appartient à F.B. de générer de nouveaux germes plus esthétiques que les précédents et pourquoi pas positifs et valorisants, à l'instar du virus du sport, de la danse, du cinéma ou du rock'n'roll. Du virus naîtrait sa conséquence anagrammatique, la survi(e) !

Et d'ailleurs comme Frédéric Buisson nous le formule fort bien lui-même : L'artiste n'est-il pas le virus qui peut engendrer dans son laboratoire des formes où l'irradiation du public dépend de la qualité première de l'acte et du degré de réceptivité du regardeur ?
Alors n'ayons pas de crainte envers cette accumulation de barquettes alimentaires, de papier toilette, d'éponges et de cotons-tiges.

L'oeuvre expansionniste et nucléaire de Frédéric Buisson est finalement rassurante. Elle joue le rôle d'un salubre bouillon de culture qui s'étale autour de nous par la grâce d'une contamination réciproque.

Michel Rose (Dijon, 09.01.2001)