Le travail de Frédéric Buisson
prend souvent racine dans un langage entre l'architecture (ou
l'in situ) et le monde médical. Le soin (coton, laine
de verre, papier toilette...) qu'il porte à un bâtiment,
personnifie l'espace et médicalise à l'extrême
et de façon absurde la déambulation du visiteur.
"Soigner tout en blessant" à l'aide de matériaux
issus de la protection, de l'isolation ou de la conversation
semble rhétorique et récurrent dans son travail.
A l'observation de l'espace Faux Mouvement, Frédéric
Buisson a eu envie de le "soigner" ; la laine de verre
vient rectifier le biais des murs, rattraper les décalages
et égaliser les sections des piliers, - mettant en évidence
tout en les gommant - les "anomalies" architecturales
de l'espace. Le temps d'une exposition celui-ci devient orthogonal.
Une frise de coton hydrophile fait office de plinthe dont le
lieu est habituellement dépourvu ; elle suit et vient
souligner les nouveaux contours du local.
L'espace est tendu, en suspens(sion). Des câbles métalliques
suivent en effet les alignements - d'origine et redéterminés
-, quadrillent le lieu et mettent en évidence ses lignes
de force. Ancrés à 2 m du sol, ils tissent une
toile d'araignée rigoureuse qui vient couper le volume
dans sa hauteur et uniformiser la planéité du plafond.
Cet ordre / cette mise en ordre au cordeau commence
à être lui-même mis en péril par des
cellules verticales situées aux croisements des câbles.
Enrobées de film palettisable, elles renferment des barquettes
alimentaires, sortes de virus introduits dans ces bulles stériles.
Suggérée dans l'installation, la présence
humaine est renforcée par des vidéos où
les actions s'apparentent à des performances ; inlassablement,
des mains étirent le coton ou dévident feuille
à feuille des rouleaux de papier toilette, ailleurs un
câble se tend jusqu'à l'arrachement faisant sursauter
le visiteur qui déambule en confiance sous ces mêmes
câbles.
Virus / Survi(e)
"Soigner tout en blessant ou tendre l'espace
à la limite de son potentiel, voilà en quelque
sorte à quoi mes recherches préalables conduisent
le plus souvent. Les choses viennent se poser sans sophistication,
sans artifice, les formes naissent par contact, par frôlement,
par pénétration". Frédéric Buisson
Un besoin viscéral de pureté originelle
taraude Frédéric Buisson. Philosophe qui s'ignore,
il s'obstine en outre à combler les vides existentiels
; parfois au sens littéral au point de s'évertuer
en vain à remplir les trous d'une grosse éponge
à l'aide de boulettes de coton hydrophile, tentative aussi
dérisoire que celle d'un enfant au bord de la mer essayant
de creuser un trou dans le sable alors que l'eau revient obstinément
par le fond. Ce que cherche en fait F.B. c'est la table rase,
l'absence de prémices, une étendue vierge de toute
souillure préliminaire, un espace immaculé datant
des premiers temps de la création. En fait un lieu assez
sain pour qu'il puisse le contaminer à sa guise, en précurseur,
en pionnier n'ayant de comptes à rendre qu'à lui-même
et à la mère nature. Mais l'espace vierge (lieu
d'exposition) se faisant rare étant donnés les
critères draconiens retenus, il convient dans un premier
temps de le stériliser afin de lui rendre son innocence
native, quitte à le "polluer" ensuite d'une
manière inédite. En le dépouillant de toutes
ses couches de protection successives, Frédéric/stratège
voudrait fragiliser l'espace en le privant de ses défenses
immunitaires acquises suite à des expériences étrangères
plus ou moins calamiteuses.
Passé ce stade initial que l'on pourrait assimiler à
un grand dépoussiérage, la contamination peut prendre
son essor sur des bases plus "saines", ce qui peut
sembler paradoxal mais qui correspond bien à l'essence
de l'art de Frédéric Buisson, un art qui navigue
entre deux "os", la crainte du virus inconnu "acquis"
et la joie sauvage d'une prolifération librement consentie,
voire choisie en toute connaissance de cause. En fait le travail
de F.B. s'étale comme un miroir peu complaisant du monde
environnant.
Ceux qui nous gouvernent soignent nos inflammations
médicales, politiques, alimentaires, intellectuelles et
culturelles nous confie-t-il avec une amertume tranquille, avant
d'ajouter, terriblement lucide : les mêmes individus génèrent
de nouveaux virus, maladies, guerres et autres agressions en
tout genre.
Mais nous aurions tort de tout retenir de ce diptyque par trop
pessimiste dont les deux volets sont joués par les mêmes
(mauvais) acteurs. Il appartient à F.B. de générer
de nouveaux germes plus esthétiques que les précédents
et pourquoi pas positifs et valorisants, à l'instar du
virus du sport, de la danse, du cinéma ou du rock'n'roll.
Du virus naîtrait sa conséquence anagrammatique,
la survi(e) !
Et d'ailleurs comme Frédéric Buisson
nous le formule fort bien lui-même : L'artiste n'est-il
pas le virus qui peut engendrer dans son laboratoire des formes
où l'irradiation du public dépend de la qualité
première de l'acte et du degré de réceptivité
du regardeur ?
Alors n'ayons pas de crainte envers cette accumulation de barquettes
alimentaires, de papier toilette, d'éponges et de cotons-tiges.
L'oeuvre expansionniste et nucléaire de
Frédéric Buisson est finalement rassurante. Elle
joue le rôle d'un salubre bouillon de culture qui s'étale
autour de nous par la grâce d'une contamination réciproque.
Michel
Rose (Dijon, 09.01.2001)
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