Dans
les travaux anciens, le personnage dans l'exposition existait
vraiment, sous la forme d'une petite figure de 20 cm de haut
environ, à la fin réalisée en cire jaune.
Maintenant, le personnage c'est le spectateur. Il déambule
dans l'espace, levant ou baissant les yeux, portant le regard
au lointain, figure d'un paysage factice. Images, peintures,
bains, vidéos déclinent les paradigmes du paysage
faisant voir dans l'exposition des expositions multiples. A l'instar
du promeneur, le visiteur trouve des points de vues qui chaque
fois l'amènent à une compréhension nouvelle
tout en le tenant à distance, la distance même qui
permet à la perception du paysage de se construire. Cette
position du spectateur est le fait d'une double stratégie
interrogeant à la fois l'espace et les matériaux.
Faut-il qu'une exposition ait lieu ? L'espace Faux Mouvement
propose déjà en soi une expérience forte
de l'espace : sol gris en béton brut, murs blancs très
hauts, éclairage lisse au néon, une surface importante
d'un seul tenant rythmée par des piliers. L'ensemble se
perçoit d'abord comme un volume et défie toute
approche qui consisterait a priori en une recherche de murs.
C'est un endroit qui impose sa propre énergie. Depuis
la rue une petite vitrine ne laisse pas deviner l'énorme
vide intérieur : elle agirait presque comme un camouflage
urbain en forme de boutique. L'attente du passant est contrariée
sinon déçue par cet espace si peu visible, comme
une grotte, une caverne à peindre. C'est une place perdue
pour le commerce omniprésent du centre ville, un défi
au supermarché par l'exhibition d'un espace inutilisable,
non pas dans le sens impossible à utiliser mais avec la
possibilité de n'en rien faire. Cette tentation du retrait
est celle de nombreux artistes : c'est un peu comme de laisser
tourner sa caméra vidéo et s'en aller pour ne pas
mettre en oeuvre le pouvoir que donne la prise de vues permettant
ainsi à d'autres forces issues de la réalité
d'agir seules (voir les années 60).
Néanmoins le lieu se trouve très proche de l'extérieur
: on y accède sans sas d'entrée, comme par un prolongement
de la rue. Le regard porte alors très loin sur un mur
à l'intérieur qui agit depuis les arcades bordant
la place sans rien laisser voir du reste. L'exposition commence
là sans doute, dans la rue.
les
bains
Le
projet s'est construit au départ sur une intervention
minimale , au sol, laissant l'espace libre. Il s'agit à
la fois de réorganiser le plan à partir des lignes
induites par le dessin des piliers et de marquer une rupture
avec la granuleuse dalle de béton. C'est ainsi qu'ont
été créés deux "bains",
le premier exactement localisé entre deux piliers - le
second autour de deux piliers, traçant une longue ligne
- constitués de paraffine colorée en jaune et coulée
dans un dispositif bordé de métal d'une hauteur
de 1cm. Ces "bains jaunes", éléments
récurrents de mon travail, installent dans le lieu par
leur transparence et leur très forte intensité
colorée une énergie bien particulière que
la photo ne saurait rendre que bien imparfaitement. C'est une
expérience de l'instant où l'on voit l'immatérialité
du jaune se poser comme une suspension sur le béton gris.
Les bains jaunes constituent des paysages en soi, ils n'existent
pas comme des tableaux posés au sol : de manière
sensitive ils sont "le" paysage que l'on contemple.
Définis par ailleurs en fonction de la structure même
du volume, ils recomposent une circulation dont ils s'imposent
comme les pivots. On les contourne sans pouvoir les piétiner
même si la tentation est réelle de se mesurer à
la matière, de fouler le sol (faire partie du paysage
comme on entrerait dans un film). Ils interfèrent également
avec tous les angles de vue plaçant les autres éléments
à distance, au lointain.
les ciels
Le
projet s'est développé ensuite par l'installation
de trois "peintures de ciels" de la série Ciel
x 12, composées chacune comme leur nom l'indique de 12
fragments de 50 x 65 cm. Le ciel ne connaît pas de frontières,
ni de profondeur, ni de ligne droite : mobile en permanence il
n'est pas réductible à des règles de représentation.
Il est l'absence même de sujet dans l'histoire de la peinture,
l'expression d'un paysage sans perspective (voir le paysage hollandais).
Il s'agit ici d'une peinture informelle ou plutôt une peinture
de formations instables où se meuvent des masses lourdes
et légères, des corps résistants. La ligne
se dissout dans des matières aspirant à des idées
de nuages, toujours changeants mais sans relation avec de quelconques
notions météorologiques. Les ciels ne sont pas
conçus comme un grand format découpé ensuite
en parties plus petites. Le format utilisé pour composer
ces pièces est un format standard très banal (raisin),
aisément manipulable, chaque élément fait
l'objet au départ d'un traitement autonome. La conception
même est morcellée. La nature du mouvement créé
apparaît progressivement : les oeuvres sont réalisées
par combinaison de fragments multiples sans limites précises,
une pièce pouvant se poursuivre dans une autre. Les limites
sont celles des lieux où elles s'inscrivent.
Le travail est réalisé sur papier, à l'encaustique,
puis recouvert d'une fine couche de paraffine coulée là
encore dans un bain de même format qui fusionne avec la
peinture. Ce procédé introduit un flou, met la
peinture à distance et souligne en quelque sorte l'immatérialité
du ciel. La perception de près ou de loin n'est pas la
même : de près la matière s'impose, de loin
c'est un univers en technicolor, une image de cinéma à
la fois unique (l'écran) et fragmentée (la bande),
les deux choses étant ici offertes simultanément.
La question du mouvement est essentielle : les 12 parties enchaînent
un déplacement des masses qui mime le travail de la caméra.
On pourrait dire que le nuage est en action. La volonté
d'utiliser ces pièces est née de la découverte
de cette longue perspective évoquée précédemment
qui porte le regard depuis la rue vers le fond de l'espace (un
travelling ? ) sans aucun obstacle. Le Ciel x 12 placé
à l'extrémité semble donner une réalité
tangible à ce couloir visuel : la rue est un point de
vue.
les
étoiles
L'informatique
est largement associée depuis un certain nombre d'années
à la conception et à la production des oeuvres.
C'est, dans cette exposition, le cas de la série des Etoiles
composée d'une centaine de pièces sous cadre métallique
brut de 20 cm x 20 cm obtenues par la numérisation et
la manipulation de peintures sur papier extraites d'un modeste
carnet de 15 x 10 cm. La couleur disparaît, la luminosité
change, le cadrage se modifie, la définition devient aléatoire
parfois très floue, pour créer une réalité
nouvelle dont le statut est ambigu : les travaux se vampirisent,
l'un donne naissance à l'autre, la question de l'original
se dilue. Ce n'est pas une photographie qui est retouchée
mais un original peint qui sert de source à des possibilités
multiples de création de nouvelles images chacune d'elles
devenant une pièce autonome. L'original est peut-être
ici le CD Rom contenant la documentation et permettant la répétition
éventuelle de l'ensemble. Les images tirées sur
imprimante, fortement graissées et fixées par l'huile
derrière une plaque de plexiglass (un nouveau bain) apparaissent
comme des peintures, ou des photos, ou des peintures d'après
photo, la qualité de matière prise par le papier,
pourtant sans mystère, figurant une création complexe.
Présenté ici en deux lignes horizontales, assez
haut sur le mur, ce travail développe à nouveau
la question du rythme et du mouvement par la modification d'un
carré à l'autre d'un point lumineux à l'intensité
variable (l'étoile). Sous cette forme on peut le comprendre
comme un mouvement décomposé pareil à celui
d'un film, phénomène accentué par la qualité
du noir et blanc qui concentre l'effet lumineux : on a pu parler
à ce sujet de "paysage motorisé". Toutes
ces petites pièces ont été réunies
dans une vidéo, réalisée sans caméra,
chacune d'elles occupant 1/25e de seconde d'un film de 4 secondes
monté en boucle, où la série se ramasse
en une seule image. Cette vidéo animant des éléments
fixes peut accompagner la présentation des étoiles
dont elle constitue une variable de l'installation. L'exploitation
informatique (l'art cannibale) des peintures, objets, dessins
est une constante du travail.
les
balayages
L'installation
Balayage bleu sur Balayage jaune est une synthèse de ce
qui précède en superposant symboliquement le bleu
et le jaune qui sont les éléments définissant
dans ce travail l'idée du sol et l'idée du ciel.
Une ligne d'horizon virtuelle sépare les deux téléviseurs
qui reconstituent en quelque sorte l'image d'un paysage sans
profondeur, hors shéma de la perspective de la renaissance,
réduit à l'essentiel, à l'instar d'un désert,
d'une steppe... Ces informations visuelles minimales ont été
obtenues par filmage de dessins et peintures existant, sur le
principe du dessin animé, image par image, par balayage
des surfaces (le terme de balayage fait référence
aussi à la création du signal vidéo). Les
images ont subi ensuite de très fortes accélérations
provoquant sur le jaune par exemple une forte sensation de vitesse.
Les deux vidéo sont associées chacune à
une bande son autonome que l'on entend ensemble. Il s'agit dans
le cas de Balayage bleu de l'enregistrement des bruits de la
forêt vosgienne après la tempête du mois de
décembre : craquements des arbres, chute des branches...
Des sons à peine modifiés mais impossible à
reconnaître si le contexte n'est pas identifié.
Dans Balayage jaune c'est un souffle enregistré par le
micro de l'ordinateur et imitant le bruit du vent, mais considérablement
amplifié. C'est un son très continu, tenu en tout
cas, qui s'oppose au bruits secs, hachés, renvoyés
par la vidéo bleue. Les deux téléviseurs
produisent ainsi un son global qui évoque des espaces
abandonnés, ouverts aux vents, traversés de fuites
d'eau, grinçants, soumis à la force des éléments.
L'intensité n'est pas très forte, le volume a été
baissé à plusieurs reprises durant la mise en place
de l'exposition, mais cette matière sonore a une présence
qui sature l'espace. Les vidéos viennent clore l'exposition
comme un dispositif autonome dans lequel les éléments
interagissent : le paysage factice.
L'ensemble de ce travail situe les oeuvres en permanence dans
un entre-deux par l'hybridation des techniques et les directions
mutiples développées qui à chaque fois peuvent
faire balancer le projet dans un sens ou un autre. L'approche
est essentiellement mobile en faisant osciller les réalisations
entre peinture et imagerie numérique, peinture et vidéo
etc... Ce phénomène de "l'entre-deux"
est particulièrement sensible dans les séries intitulées
Images trouvées.
les images trouvées
Les
séries des images trouvées sont construites comme
leur nom l'indique de toute évidence avec des images effectivement
trouvées et ne relèvent pas d'une prise de vues,
qui supposerait une rencontre physique avec un sujet. Il y a
simplement des images existant déjà et découvertes,
non pas recherchées : cartes postales, diapos, photos
de famille etc... "Pas recherchées" peut prendre
là deux significations : le hasard de la rencontre et
la banalité des situations présentées. Dans
le cas de la série proposée dans l'exposition Point
de vues, FAUX MOUVEMENT 1999, il s'agit de 6 diapositives extraites
d'une pochette de marque "DIATONALE - plein écran"
consacrée à la rive droite des Gorges du Verdon
et ramassée un jour il y a plusieurs années à
l'angle de la rue Goethe et l'avenue de Nancy à Metz.
Les diapositives étaient d'une couleur brun-rouge, altération
caractéristique d'un certain vieillissement qui fait disparaître
les contrastes et par conséquent tout effet spectaculaire.
C'est cette coloration que l'on peut voir encore dans la réalisation
achevée. La localisation géographique du paysage
m'intéressait peu, physiquement d'ailleurs il paraissait
très interchangeable (changer de paysage est impossible,
mais changer d'image ou de légende oui). La vision d'un
lointain indéterminé, vide de tout personnage,
banal en somme, a retenu mon attention par le rythme que cela
créait d'une image à l'autre. L'impression était
celle d'un PAYSAGE au sens générique du terme.
Les images ainsi trouvées sont numérisées,
manipulées plus ou moins (à peine agrandies dans
le cas présent), puis imprimées pour devenir peinture
par une sorte de régression de la technologie. Le sujet
de la peinture n'est plus dans la représentation du paysage,
déjà disponible, mais dans la manipulation matérielle
des papiers, en fait assez sommaire, qui vient mimer en quelque
sorte les secrets de fabrication, les techniques dissimulées
des peintres anciens. Aucune couleur, seuls les mediums (liants)
de la peinture sont utilisés : huile, cire, paraffine...
qui viennent donner une transparence particulière aux
matériaux et brouiller la claire lisibilité du
paysage présenté. La question documentaire posée
par les diapositives originales devient sans intérêt,
l'image existe comme tableau. Placés dans un cadre métallique
qui leur sert de réceptacle, les papiers, scellés
ensuite sous verre, construisent une sorte d'objet-tableau au
statut imprécis. Verre et métal s'opposent à
(contiennent) la fluidité, la mollesse des graisses. La
série agit sur le double rythme des matières et
des images, de loin et de près, du détail singulier
parfois indéchiffrable à la globalité du
paysage évoqué par l'ensemble.
D'autres séries ont été réalisées
en particulier à partir d'images des jeux olympiques de
1936, de séries de photos de famille, de cartes postales
anciennes ou récentes, de fragments de magazines. Quoi
qu'il en soit, il n'y a jamais une seule image mais bien toujours
un ensemble : on retrouve là cette question du dialogue
entre des parties articulées les unes aux autres comme
on construirait une phrase. Dans l'exposition Paysages factices
et images trouvées ont été présentés
les derniers développements de ces séries, les
Sauteurs : il s'agit de cadres métalliques carrés
de 19 cm de côté fixés sur une tige ronde
de 40 cm de long perpendiculairement au mur à une hauteur
bien supérieure à celle de la ligne d'horizon.
Face au mur, l'image, montrant des personnages en suspension,
n'est pas visible ; en fait on ne voit rien du tout si ce n'est
une surface blanche, les cadres dans la mesure où on les
remarque à l'endroit où ils se situent ne montrent
que leur profil. Pour voir les oeuvres il faut lever la tête
et longer les murs. Le visiteur qui pénètre dans
l'exposition aperçoit alors des personnes déambulant
le regard en l'air comme des promeneurs musardant les yeux au
ciel.
P.N.
Juillet 2000
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