"Your
body is a boat to lay aside when you reach the far shore.
Or sell it if you can find a fool , it's full of holes, it's
full of holes.
William Burroughs, in Seven souls"
Les
oeuvres de Wendelien van Oldenborgh sont au départ constituées
d'une courte boucle de film tourné d'habitude avec une
caméra 16 mm ou super 8. Les images enregistrées
dans une situation réelle sont retravaillées de
façon à les réduire à une séquence
non narrative, concentrée sur un seul événement
ou mouvement. Une ou deux boucles sont ensuite présentées
côte-à-côte (St Anna, 1996 et Horizontal,
1997) en projection permanente et très ralentie sur un
mur ou écran dans un espace parfois spécialement
redéfini.
C'est
le corps humain en mouvement soumis, grâce à la
technique du montage, à une fragmentation qui est le véritable
sujet des oeuvres de Wendelien van Oldenborgh.
L'exposition
It's full of holes, it's full of holes, est constituée
de trois parties : la première, centrale, composée
d'une double projection de diapositives sur grands écrans
séparés, la deuxième, consistant en une
projection vidéo sur écran de télévision
et la troisième, présentant 7 tirages photographiques
disposés en série sur un mur. Toutes les uvres
sont en noir et blanc et ont été reconstituées
à partir d'images récemment enregistrées
par l'artiste à Metz.
L'installation
centrale assemble quatre projecteurs à carrousel synchronisés
et munis d'objectifs à grand angle. Ce dispositif technique
a été choisi avec grand soin. Deux fragments de
film ont été transférés sur une pellicule
photographique, découpés et encadrés, image
par image, avant d'être disposés dans les paniers
des projecteurs.
La
forme circulaire du carrousel, par son mouvement permanent, sans
début ni fin, devient un principe de construction interne
de l'uvre. Cette circularité conduit à l'unité
et à l'autonomie de chaque partie de l'exposition. Elle
est présente dans la projection vidéo et elle régit
le mode de fonctionnement spatial de la série de tirages
photographiques : au gré des déplacements du spectateur
le mouvement des images devient réversible et infini.
Le
mouvement circulaire donne accès à une autre conception
du sujet humain. Celui-ci devient d'abord double (deux projections
parallèles dans la projection centrale) ; il se transforme
ensuite en une série vertigineuse de reflets à
l'intérieur de chaque image. Et c'est dans les interstices,
entre les séquences, qu'il perd finalement son identité
individuelle et ses limites.
La
forme circulaire évoque enfin la symbolique de l'éternité
et du renouvellement - de la vie et la mort; elle désigne
dans le vocabulaire occidental la figure la plus parfaite, ordonnée
et harmonieuse. Or, sur le plan temporel le cercle nous renvoie
entre autre à l'étymologie du terme rite, - l'ordre
du cosmos et l'ordre des rapports entre les hommes.
Les images de la projection centrale ont été tournées
durant un match de football, événement aux dimensions
rituelles nombreuses. Dans cette uvre, aussi bien que dans la
boucle vidéo enregistrée à une fête
foraine, le corps est inscrit dans une relation sociale et apparaît
sur la ligne de contact, de jonction avec d'autres corps. Le
cercle du carrousel devient ici l'allégorie de l'ordre
représenté par la figure de la femme policier.
La présence, au premier plan, de la chaîne bicolore
révèle l'existence de la ligne de séparation
entre la société et ses interdits. Cette dimension
de l'anti-structure offre un cadre à la violence symbolique
du rite contemporain. L'intense participation sensorielle qui
s'y développe donne place à des événements
mineurs qui sont scrupuleusement notés par la caméra
de l'artiste, séparés et agrandis dans ses uvres.
Ces véritables "molécules rituelles"
témoignent du caractère profondément physique
de nos comportements grégaires. Ce sont elles également
qui dévoilent le lien de nos structures de pensée
avec le passé enraciné dans un subconscient collectif.
L'utilisation
du noir et blanc, la présence du grain, des imperfections
du filmage et le flou de l'agrandissement - suggèrent
un retour vers un passé indéterminé de l'image
mécanique.
Le
lien avec le passé est également souligné
par la conception spécifique du corps dans les images
de Wendelien van Oldenborgh : un corps jamais prêt ni achevé,
constitué de saillies, excroissances et orifices. La bouche
entrouverte, les narines dilatées et les yeux vides conduisaient
déjà à l'intérieur du corps flottant
de St Anna. Les mains accollées aux parties intimes d'un
personnage anonyme et le plan du visage de la femme en uniforme
dans les boucles messines témoignent d'un intérêt
toujours présent depuis Horizontal pour le vocabulaire
du réalisme grotesque. La structure métaphorique
du corps est ici mise en relief par les métamorphoses
que les représentations subissent à l'intérieur
du mouvement du film. Cette conception du langage venant en droite
ligne du folklore comique du moyen-âge et de la renaissance
renvoie aussi, dans la démarche de l'artiste à
l'actualité de certaines pratiques sociales ayant pour
objectif la transformation des apparences physiques de l'homme.
Le
transfert d'images sur le support de diapositive intervient pour
la première fois dans le travail de l'artiste. Cette technique
permet un éclatement des séquences d'images en
petites entités effet jamais atteint auparavant. Restant
circulaire, la temporalité de l'uvre s'approche de la
conception du temps vertical, ambivalent et paradoxalement presque
privé d'organisation successive. Ce ralentissement astreint
le regardeur à un rapport de fascination à l'uvre.
Le
travail de Wendelien van Oldenborgh peut apparaître comme
une recherche sur la persistance et sur la transformation des
conceptions métaphoriques du corps. L'artiste s'intéresse
aux séquelles culturelles et symboliques qui apparaissent
dans le comportement social suite à l'évolution
des langages.
Son intervention se place à la frontière entre
les structures de pensée et une certaine résonance
corporelle, entre la fascination et l'entendement : comme s'il
y existait deux réels mouvements distincts de la perception,
un non-conscient, presque exclusivement physique et l'autre,
mental impliquant nos structures langagières et notre
capacité d'entendement.
C'est
une recherche des liens secrets, car dictés par la pudeur
et la séduction - les règles que la raison ne connaît
pas - entre le corps et le langage, entre le physique et le mental.
C'est justement dans ces failles, véritables "trous"
dans notre conception et connaissance du monde, que l'artiste
traque des mécanismes de projection inconscients mis en
jeu par nos peurs quotidiennes.
Thomas Kocek, octobre
1999
It's
full of holes, it's full of holes est la première exposition personnelle
en France de cette artiste hollandaise, qui vit actuellement
à Stuttgart.
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