Wendelien van OLDENBORGH

> 22 octobre - 27 novembre 1999


 

"It's full of holes, it's full of holes"

"Your body is a boat to lay aside when you reach the far shore.
Or sell it if you can find a fool , it's full of holes, it's full of holes.
William Burroughs, in Seven souls"




 

Les oeuvres de Wendelien van Oldenborgh sont au départ constituées d'une courte boucle de film tourné d'habitude avec une caméra 16 mm ou super 8. Les images enregistrées dans une situation réelle sont retravaillées de façon à les réduire à une séquence non narrative, concentrée sur un seul événement ou mouvement. Une ou deux boucles sont ensuite présentées côte-à-côte (St Anna, 1996 et Horizontal, 1997) en projection permanente et très ralentie sur un mur ou écran dans un espace parfois spécialement redéfini.

C'est le corps humain en mouvement soumis, grâce à la technique du montage, à une fragmentation qui est le véritable sujet des oeuvres de Wendelien van Oldenborgh.

L'exposition It's full of holes, it's full of holes, est constituée de trois parties : la première, centrale, composée d'une double projection de diapositives sur grands écrans séparés, la deuxième, consistant en une projection vidéo sur écran de télévision et la troisième, présentant 7 tirages photographiques disposés en série sur un mur. Toutes les uvres sont en noir et blanc et ont été reconstituées à partir d'images récemment enregistrées par l'artiste à Metz.

L'installation centrale assemble quatre projecteurs à carrousel synchronisés et munis d'objectifs à grand angle. Ce dispositif technique a été choisi avec grand soin. Deux fragments de film ont été transférés sur une pellicule photographique, découpés et encadrés, image par image, avant d'être disposés dans les paniers des projecteurs.

La forme circulaire du carrousel, par son mouvement permanent, sans début ni fin, devient un principe de construction interne de l'uvre. Cette circularité conduit à l'unité et à l'autonomie de chaque partie de l'exposition. Elle est présente dans la projection vidéo et elle régit
le mode de fonctionnement spatial de la série de tirages photographiques : au gré des déplacements du spectateur le mouvement des images devient réversible et infini.

Le mouvement circulaire donne accès à une autre conception du sujet humain. Celui-ci devient d'abord double (deux projections parallèles dans la projection centrale) ; il se transforme ensuite en une série vertigineuse de reflets à l'intérieur de chaque image. Et c'est dans les interstices, entre les séquences, qu'il perd finalement son identité individuelle et ses limites.

La forme circulaire évoque enfin la symbolique de l'éternité et du renouvellement - de la vie et la mort; elle désigne dans le vocabulaire occidental la figure la plus parfaite, ordonnée et harmonieuse. Or, sur le plan temporel le cercle nous renvoie entre autre à l'étymologie du terme rite, - l'ordre du cosmos et l'ordre des rapports entre les hommes.
Les images de la projection centrale ont été tournées durant un match de football, événement aux dimensions rituelles nombreuses. Dans cette uvre, aussi bien que dans la boucle vidéo enregistrée à une fête foraine, le corps est inscrit dans une relation sociale et apparaît sur la ligne de contact, de jonction avec d'autres corps. Le cercle du carrousel devient ici l'allégorie de l'ordre représenté par la figure de la femme policier. La présence, au premier plan, de la chaîne bicolore révèle l'existence de la ligne de séparation entre la société et ses interdits. Cette dimension de l'anti-structure offre un cadre à la violence symbolique du rite contemporain. L'intense participation sensorielle qui s'y développe donne place à des événements mineurs qui sont scrupuleusement notés par la caméra de l'artiste, séparés et agrandis dans ses uvres. Ces véritables "molécules rituelles" témoignent du caractère profondément physique de nos comportements grégaires. Ce sont elles également qui dévoilent le lien de nos structures de pensée avec le passé enraciné dans un subconscient collectif.

L'utilisation du noir et blanc, la présence du grain, des imperfections du filmage et le flou de l'agrandissement - suggèrent un retour vers un passé indéterminé de l'image mécanique.

Le lien avec le passé est également souligné par la conception spécifique du corps dans les images de Wendelien van Oldenborgh : un corps jamais prêt ni achevé, constitué de saillies, excroissances et orifices. La bouche entrouverte, les narines dilatées et les yeux vides conduisaient déjà à l'intérieur du corps flottant de St Anna. Les mains accollées aux parties intimes d'un personnage anonyme et le plan du visage de la femme en uniforme dans les boucles messines témoignent d'un intérêt toujours présent depuis Horizontal pour le vocabulaire du réalisme grotesque. La structure métaphorique du corps est ici mise en relief par les métamorphoses que les représentations subissent à l'intérieur du mouvement du film. Cette conception du langage venant en droite ligne du folklore comique du moyen-âge et de la renaissance renvoie aussi, dans la démarche de l'artiste à l'actualité de certaines pratiques sociales ayant pour objectif la transformation des apparences physiques de l'homme.

Le transfert d'images sur le support de diapositive intervient pour la première fois dans le travail de l'artiste. Cette technique permet un éclatement des séquences d'images en petites entités effet jamais atteint auparavant. Restant circulaire, la temporalité de l'uvre s'approche de la conception du temps vertical, ambivalent et paradoxalement presque privé d'organisation successive. Ce ralentissement astreint le regardeur à un rapport de fascination à l'uvre.

Le travail de Wendelien van Oldenborgh peut apparaître comme une recherche sur la persistance et sur la transformation des conceptions métaphoriques du corps. L'artiste s'intéresse aux séquelles culturelles et symboliques qui apparaissent dans le comportement social suite à l'évolution des langages.
Son intervention se place à la frontière entre les structures de pensée et une certaine résonance corporelle, entre la fascination et l'entendement : comme s'il y existait deux réels mouvements distincts de la perception, un non-conscient, presque exclusivement physique et l'autre, mental impliquant nos structures langagières et notre capacité d'entendement.

C'est une recherche des liens secrets, car dictés par la pudeur et la séduction - les règles que la raison ne connaît pas - entre le corps et le langage, entre le physique et le mental. C'est justement dans ces failles, véritables "trous" dans notre conception et connaissance du monde, que l'artiste traque des mécanismes de projection inconscients mis en jeu par nos peurs quotidiennes.

Thomas Kocek, octobre 1999

 

It's full of holes, it's full of holes est la première exposition personnelle en France de cette artiste hollandaise, qui vit actuellement à Stuttgart.