Ghislaine PORTALIS

> 15 octobre - 27 novembre 1994

FAUX MOUVEMENT - Place de Chambre, Metz
 


De l'intérieur à l'intériorité

La caractéristique première du travail de Ghislaine Portalis, celle qui s'affirme comme une constante depuis le début de ses activités, est le recours au papier peint. Papier blanc gaufré qu'elle repeint ou papier aux motifs imprimés utilisé tel quel, le matériau est source de possibilités nombreuses révélées par l'artiste. On observe une seule variante dans le parcours de Ghislaine Portalis quand, au début des années 1980, elle abandonne le papier fabriqué à la cuve pour fixer son choix sur le papier industriel. Toutefois le propos conserve sa logique : il s'agit de travailler le geste, la couleur, la surface et conjuguer les aspects de la peinture aux aléas de l'architecture. A Rome, en 1983 les grandes peintures bleues renoncent aux formules traditionnelles d'accrochage en empiétant sur des colonnes et des piliers adossés aux murs, sur les plinthes ou encore sur les portes. L'installation répond aux données de la peinture, confrontée aux qualités spécifiques du lieu. Or ces préoccupations plastiques qui pourraient convenir à une démarche seulement formelle mettent en scène un contenu symbolique, qu'on observe dans les différentes étapes d'élaboration du travail (du choix des matériaux initial à la confrontation avec l'espace). Dans un texte précédent était évoquée, à propos de l'intérêt donné à la fabrication des choses "une pratique maniaque et obsessionnelle plus féminine que masculine". La production artisanale du papier, les traces vermiculées peintes à la surface, les déchirures, les superpositions, l'empilement des lés de papier, la répartition des rivets sur des motifs de capiton insistent sur la répétition des tâches, métaphore des ouvrages domestiques quotidiens qui emploient la femme à la maison. Le choix du papier induit également un contenu narratif où se mêlent histoire privée et histoire sociale. Le triptyque réalisé à l'aide d'un papier à motif de capiton (1990-1991) rappelle l'utilisation qui pouvait être faite du décor capitonné dans les demeures bourgeoises. Il évoque, plus intimement les espaces clos où règnent le confort et la sensualité, où dominent l'idée de mystère et l'appréhension. Ces sentiments que l'artiste imprime à ses travaux contrastent à peine avec l'ordonnance minimale qui préside à la mise en forme des oeuvres. Beaucoup d'entre elles par exemple procèdent de la répétition d'un même élément carré, un module de 26 cm de côté, constitué de feuilles de papier gaufré empilées, reliées à un support en bois par un boulon. Ce "pavé" ainsi que le dénomme l'artiste est la partie multipliée d'une série d'oeuvres aux contours simples, géométriques dont l'existence dépend du lieu d'exposition.

Cela nous conduit à cerner une autre problématique inhérente au travail de Ghislaine Portalis et surtout à sa mise en espace. En effet, les oeuvres obtenues à partir de l'addition de modules sont parfois apparentées à des éléments de mobilier. Ainsi "Porte capitonnée grise" réalisée en 1990-1991 pour l'Atheneum est composée de 32 pavés accrochés au mur en touche-touche, séparés par un faible intervalle régulier. Les plis creusés par chaque boulon central, la forme rectangulaire de l'ensemble, les proportions, la station au sol justifient la désignation du titre. Les oeuvres de cette série ont un statut ambigu et marquent un changement dans le travail de l'artiste. Elles restent attachées à la peinture dont elles dérivent tout en annexant une autre catégorie, celle du relief. Ce déplacement s'opère par le morcellement de l'oeuvre en parties distinctes, elles-mêmes dégagées du mur par l'épais support de bois. C'est par ce passage de la planéité au relief que l'artiste en vient à aborder la question du mobilier. On voit déjà poindre ce rapprochement dans une oeuvre de 1989, de couleur jaune, au format rectangulaire, placée haut sur la cimaise. Cette position, de même que l'aspect moelleux dû à l'épaisseur du papier donnent un sentiment de confort et semblent appeler la tête à venir s'y appuyer. La pièce horizontale formée d'un alignement de dix modules carrés rouges (1990-1991) offre, par sa référence nettement affirmée au tissu, la même virtualité. Une anecdote se trouve à l'origine précise du passage au volume. C'est en effet en voyant des éléments de ses pièces rangés contre un mur de l'atelier que Ghislaine Portalis remarque qu'ils "forment une sculpture à la limite du mobilier" et décide cette fois de travailler entièrement dans les trois dimensions. La relation saisie entre la sculpture et le mobilier définit les dernières recherches de l'artiste. Ses oeuvres récentes n'entretiennent pas pour autant un rapport mimétique au meuble, elles inscrivent cette analogie au registre d'un traitement spécifique de l'espace où interviennent des notions d'intimité, d'intériorité et de décor. Par une disposition appropriée dans l'espace, les volumes accrochés haut sur la cimaise ou posés au sol contre le mur, offrent une parenté avec des objets qui, dans le monde et dans l'histoire invitent au bien-être du corps. Ghislaine Portalis évoque des images, pas seulement comme références iconiques mais pour rappeler le lien entre le corps, son environnement mobilier et la pensée. Elle cite par exemple la Villa des Mystères, en particulier la scène où l'on voit une femme accoudée sur une pile de coussins, les étoffes entassées, repliées soutiennent la matrone pensive et mélancolique, épousant les formes de son corps. Dans ses dernières réalisations, Ghislaine Portalis a abandonné le support en bois pour introduire des éléments de souplesse, en repliant sur elles-mêmes les feuilles de papier entassées. Les courbes, les enroulements imitent aussi bien les plis des drapés que les volutes architecturales, ils évoquent les caprices de la nature. Dans les replis, le creux appelle au calme, au silence, à la tristesse solitaire. Une sorte d'excès étouffé.

Ces sculptures occupent l'espace comme s'il s'agissait d'un intérieur privé. On y remarque un même souci de justesse, d'équilibre, une même volonté de trouver l'endroit qui convient à l'objet. C'est bien la notion d'intérieur qui intéresse l'artiste, des "Scènes de Vie Privée" racontées par Balzac à l'architecture intérieure, celle qui orne en trompe-l'oeil les fresques de Pompéi. L'art de Ghislaine Portalis rappelle au fond, dans une formulation contemporaine le cheminement entre l'espace mental et son univers intime et privé qui en est souvent le prolongement et le confident. De l'intérieur à l'intériorité.

 

Valérie Dupont
septembre 1994