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Le premier contact avec le travail de Liz Bachhuber eut lieu en 1986 lors d'une exposition alternative organisée à Münich dans une fabrique promise à la démolition. Aux murs d'une petite pièce, comme une meute, était fixée une série de loups en relief. Au centre, posé au sol, se trouvait un arbre mort dont le tronc et les branches étaient enveloppés de fragments de lettres, factures, papiers divers. Pris au coeur de cette ronde, le visiteur était intrigué par cette idée de nature faisant irruption dans l'espace chargé d'une vieille usine. Ce qui se montrait d'abord dans cette installation c'était l'absence de la nature, qui se dérobait, ne laissant que des signes au travers de quelques éléments figés. Les petits papiers collés étaient les indices d'une existence qui s'est écoulée, la marque du temps qui a passé, transformant l'arbre mort en arbre de vie, porteur d'une histoire. Mais l'homme n'était plus là et les loups semblaient une menace. C'était la nature sans l'homme physique et peut-être après lui. Dans le contexte général d'une exposition d'art contemporain, cette installation paraissait très singulière. Se construisant sur un ensemble de dualités, elle agissait sur plusieurs registres opposant vie et mort, sauvagerie et civilisation, réalité et illusion. Ainsi le spectateur devenait également un manipulateur: son interprétation était ouverte, soumise à sa propre histoire alors qu'il était lui-même l'élément d'un environnement. Ce travail de Liz Bachhuber stimulait l'imagination. La suite nous montra qu'il y avait là déjà l'essentiel de ses préoccupations, c'est-à-dire une constante interrogation de la nature dans sa relation à l'homme. Ses installations du P.S.1 à New York
(1989), de Jeune Sculpture à Paris (1990) ou récemment
de la Kunsthalle à Düsseldorf (1991), créent
un environnement fictif formé d'un répertoire d'éléments
qu'elle utilise souvent : troncs de bouleau, cabanes à
oiseaux, nids reconstitués, silhouettes d'oiseaux découpées
dans une paroi à contre-jour. Ce dispositif fonctionne
comme un déclencheur: l'espace est à la fois vide
de nature mais rempli de son idée, à nous d'inventer
la situation. Liz Bachhuber ne construit pas une machine théâtrale,
projecteurs, lumières colorées, qui produirait,
au sens strict du terme, un effet. Il ne s'agit pas de prendre
possession du regard des autres en l'impressionnant mais de tenter
une oeuvre ouverte. Ses oiseaux découpés évoluent
avec la lumière naturelle et s'ils peuvent occuper l'espace
en se reflétant aux murs et au plafond, ils disparaissent
si la lumière fait défaut. Son travail est essentiellement mobile, c'est-à-dire souvent éphémère, évoluant avec le temps et l'espace. Ce mode évolutif est important car il est lui-même métaphore de vie. Les éléments en jeu varient relativement peu ; c'est la forme même de l'installation qui se déplace en fonction du lieu d'exposition, volume et caractère des salles, mais aussi en fonction de la localisation géographique. Le travail de Liz Bachhuber s'accompagne systématiquement d'une importante documentation photographique qui va créer une substance spécifique. Les oiseaux apparaissant sur les murs de Faux Mouvement à Metz sont ceux de la faune mosellane, les silhouettes placées sur le mur du quai Saint-Etierme à Strasbourg appartiennent à des Strasbourgeois anonymes passant devant l'objectif de Liz Bachhuber. Dans cette installation en particulier, hommes et oiseaux sont fixés, sous formes d'ombres en relief, à l'endroit même où son regard les a saisis. Nul ne sait si quelqu'un pourra s'y reconnaître mais rien de plus probable puisque le mur vient mimer l'activité journalière des passants. Ces quelques traces reflètent un moment de vie, figé, alors que le passage régulier des piétons se poursuit devant elles. Liz Bachhuber restitue grâce à la photo sa mémoire du lieu et de l'instant. C'est à la fois une méthode de travail et toute une philosophie: le souci d'une réelle proximité. Son oeuvre se construit sur la base d'une expérience personnelle dans le monde. Elle n'est pas classable parmi les champs plus ou moins balisés de l'art contemporain ce qui ne manque pas de dérouter certains regards habitués aux débats tranchés, d'autant plus que la démarche est positive. Même s'il est alarmé, le regard porté sur le monde n'est pas catastrophiste et la dénonciation clairement exprimée se développe dans une expression artistique. La fragilité de son travail désigne la précarité de notre espace naturel et la perte irrévocable de notre place dans son contexte, mais c'est aussi et sans équivoque une simple invitation à regarder la vie.
Marie
Brucker, Maryse Jeanguyot
Edition d'un catalogue en coédition avec le Kunstverein de Lingen (All.) et la Galerie Edith Wahlandt de Stuttgart (All.) |
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